La légende de Saint Véran : Le Léviathan n’était pas très vieux, guère plus de mille ans, la terreur habitait encore son cœur et ses dents. De sa gueule, sortaient de brûlants éclairs, de la fumée montait de ses narines, son cœur était dur comme de la pierre. Il marchait sur l’or comme sur la boue et les gouffres où il passait blanchissaient comme cendre. Pourtant, devant l’avancée des Chrétiens, le Léviathan avait fui dans les hautes montagnes de l’Asie mineure, tout comme les licornes, les sirènes, les harpies, les satyres aux pieds de boucs et les onocentaures qui ont un buste d’homme sur un corps d’âne sauvage. Ce pays, peuplé de Gaulois, s’appelé alors la Galatie d’Asie. Le Léviathan s’y retira pour attendre la mort, mais il aurait voulu perpétuer sa race et laisser aux hommes un monstre qui leur fasse mal. Un jour, dans ces montagnes, il rencontra, faut-il tout dire ? un monstre si horrible qu’il n’avait même pas de nom. Nommer cette bête, c’était presque la faire apparaître ; dans le Queyras, on chuchote seulement : la Boye ! C’est elle que l’on évoque pour faire peur aux enfants. C’est une sorte de vipère gigantesque avec sur le front un trou noir où les plis de sa peau retiennent une escarboucle. Quand elle se baigne, elle dépose sur la rive cet œil étincelant et devient aveugle jusqu’à ce qu’elle sorte de l’eau pour le reprendre. Elle était sauvage, et ne voulait frayer avec un animal et aucun homme. Mais un jour, le Léviathan, profitant qu’elle était aveugle et se baignait, se jeta sur la bête, lui tordit la nuque et l’entraîna avec lui. Telles furent les noces du Léviathan et de la Boye. Treize mois plus tard, naquit un monstre encore plus terrible que ses parents avec des dents aiguës comme des glaives, les os de son échine semblaient crever sa peau écailleuse, ses flans palpitaient come les voiles d’un navire tourmentées par la rafale, ses pattes portaient des ongles d’ours, sa queue était garnie d’épines dures comme les pointes d’une lance. Les Gaulois d’Asie l’appelèrent Tharrascouros et quand cette bête vint ici, on l’appela Tarasque ou le plus souvent, Dragon. La Tarasque avait pris en haine son pays d’Asie et ses parents. Elle descendit des montagnes Galates, se jeta dans la mer, nagea vers le soleil couchant faisant bouillir l’eau à son passage. Elle arriva sur les côtes de la Provence, elle lutta contre le Rhône impétueux et parvint à remonter ses eaux qui dévalaient depuis les Alpes. D’énormes bourrelets d’eau déferlaient sur les campagnes, des paquets d’écume allaient battre les murs des maisons. La Tarasque s’installa d’abord en pays de Nerluc, dans une forêt noire et des marais salants. Elle terrorisa les habitants de la région et elle mangeait leurs troupeaux. Elle laissa même son nom à une ville : Tarascon. Le monstre finit par s’établir un peu plus au nord en pays d’Avignon, on l’appela alors Dragon et cette bête trouva refuge aux sources de la fontaine de Vaucluse. Ce dragon continuait ses désastres et ses massacres à n’en plus finir. Beaucoup de gens quittaient le pays. Beaucoup d’hommes et de guerriers courageux avaient tenté de le tuer, en vain, nul n’était jamais revenu vivant de ces combats. Ils avaient péri dans la gueule du monstre d’où jaillissait le feu. Il fallait trouver une solution. Ce fut alors qu’un berger, du nom de Véran, eut une idée. Il décida de placer de la viande empoisonnée sur le passage du dragon. Le monstre se laissa prendre au piège. En proie à d’horribles souffrances, hurlant de douleur, il fuit, remontant la Durance, puis celle du Guil et enfin celle de l’Aigue Blanche. Il finit par mourir là-haut sur la montagne. Le berger qui avait terrorisé le dragon fut porté en triomphe jusque dans sa ville de Cavaillon. C’était un saint homme, on en fit un homme d’église. Il devint évêque. L’été suivant, des bergers de Provence montèrent dans le Queyras avec leurs troupeaux. Ils apprirent aux gens qui vivaient là que l’homme qui avait terrorisé le dragon venu mourir ici, était l’évêque Véran. Dès lors, ceux-ci dédièrent leur paroisse à l’évêque vénéré Et, depuis ce temps-là, leur pays se nomme Saint-Véran.