Voici le texte de Bernard FRIOT "L’ÉVÉNEMENT"

C’est vraiment ennuyeux de se lever, le matin, et de sortir de son lit pour toute une journée. Aujourd'hui, au petit déjeuner, j'ai trouvé un serpent à sonnettes dans la boîte à sucre. Hier, c'était un serpent à lunettes.

Et puis, je n'ai pas pu boire mon chocolat parce qu'il y avait une sirène qui nageait la brasse dans ma tasse. Quand j'ai voulu me couper une tartine, le pain s'est mis à parler. Il m'a dit d'une voix ensommeillée : « Tu ferais mieux d’aller te laver les mains ».

Dans la salle de bains, une sorcière s'était amusée à transformer mon peigne en prince charmant et mon père en mille-pattes. J'ai dû dire à mon père d'aller s'essuyer les pieds ailleurs que dans le lavabo. Et j'ai demandé à la sorcière d’arrêter ses bricolages.

En passant par le salon, j'ai vu mon petit frère qui mangeait la télévision.

« Et demain ce sera quoi ? Le piano ? » Et après, il s'étonne d'avoir mal au ventre.

Je suis retourné dans ma chambre et, comme d'habitude, je me suis disputé avec ma sœur. C'est la millième fois au moins que je lui dis de ne pas déployer ses ailes dans la chambre. Elle sait très bien que ça me fait éternuer, tousser, cracher, et que je ne peux plus respirer. Furieux, je l'ai jetée par la fenêtre et elle est allée se percher sur un poteau électrique près d’un groupe de pigeons.

Ensuite, j'ai couru après mon cartable qui sautait comme un kangourou et je l'ai attrapé au lasso. Ça va, je suis entraîné. Je n'ai pas pu prendre l'ascenseur parce que des souris l'avaient transformé en discothèque. Elles avaient l'air de bien s'amuser. J'ai descendu quatre à quatre les escaliers et j'ai bousculé M. Lebart qui allait promener son alligator au zoo. Et j'ai failli renverser une vieille dame qui marchait sur les mains. En sortant de l'immeuble, j'ai dû prendre mon élan pour sauter par-dessus le ravin qui remplaçait le trottoir. Comme toujours, des gens distraits étaient tombés dedans et on les entendait hurler. Et j'ai pensé : « Si ça continue comme ça, je vais mourir d'ennui. Pourquoi ne m'arrive-t-il jamais rien, à moi ? »

Mais juste à ce moment-là, quelqu'un m'a frappé sur l'épaule. C'était Marie. Elle m'a fait un clin d’œil et elle a dit : « Salut ». Et puis elle a disparu dans la foule. Je l'ai regardée s'éloigner et tout à coup, dans ma tête, ça s'est mis à chanter.

Bernard Friot dans « Histoires pressées » (Milan)

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