La peste de Marseille 1720 

Le 25 mai 1720, un navire, le Grand-Saint-Antoine, entre dans le port de Marseille. Il ramène de Syrie un passager clandestin, le bacille de la peste.

En deux mois, la ville de Marseille va perdre la moitié de ses 100.000 habitants et la peste va tuer dans l'ensemble de la région pas moins de 220.000 personnes !

Les Français du «Siècle des Lumières» [époque du roi Louis XV qui a alors 10 ans] se croyaient à l'abri des grandes épidémies et vont devoir en catastrophe restaurer [revenir  à] une sévère prévention.

La peste, dont le nom vient du latin pestis (fléau), n'a été identifiée qu'en 1894 par le médecin Alexandre Yersin. Elle provient d'un microbe très résistant qui porte le nom de son découvreur : le bacille de Yersin. Il existe à l'état naturel chez certains rongeurs d'Asie et peut être transmis par l'intermédiaire de puces à des rats et, de là, à l'homme. Notons que la puce en question est rebutée par [elle n’aime pas]  l'odeur des moutons et des chevaux, de là l'innocuité des bergers et des palefreniers à la maladie [ils ne craignent pas de l’attraper]. Les Européens croient au début que les miasmes [« microbes »] de la peste se répandent par voie aérienne. Aussi n'ont-ils rien de plus pressé, lorsque l'épidémie atteint une ville, que de fuir celle-ci. Cette fuite est la pire attitude qui soit car elle a pour effet d'accélérer la diffusion de l'épidémie [la maladie se transmet ailleurs].

Parti de Marseille le 22 juillet 1719, le Grand-Saint-Antoine gagne les escales ou ports du Levant. Or, la peste sévit à ce moment-là en Syrie. Un passager turc embarqué à Tripoli le 3 avril 1720 meurt deux jours après sur des cordages. Puis, sur le chemin du retour, le voilier perd successivement sept matelots et le chirurgien de bord. Un huitième matelot tombe malade peu avant l'arrivée à Livourne, en Italie. À chaque fois, on trouve de bonnes raisons pour se dissimuler la vérité sur l'épidémie. A l'escale de Livourne, les médecins ne font rien pour retenir le navire.

Le capitaine Jean-Baptiste Chataud a lui-même hâte de livrer sa cargaison (des ballots de tissus d'une valeur de 100.000 écus) avant la foire de Beaucaire. Il amarre son voilier au Brusc, près de Marseille, et fait discrètement prévenir les armateurs ou propriétaires du navire. Ceux-ci font jouer leurs relations. Ils en appellent aux échevins [« conseillers municipaux » de l’époque] de Marseille pour éviter une quarantaine brutale qui consisterait à isoler le navire (et sa cargaison) en pleine mer pendant quarante jours. Les uns et les autres considèrent que la peste est une histoire du passé et prennent l'affaire avec détachement.

Finalement, ils demandent au capitaine de repartir à Livourne chercher une «patente nette», certificat attestant que tout va bien à bord. Les autorités de Livourne, qui n'ont pas envie de s'encombrer du navire, ne font pas de difficultés pour délivrer ledit certificat. C'est ainsi que le Grand-Saint-Antoine est mis en quarantaine «douce» : les marins sont débarqués et enfermés dans un lazaret [endroit où on isole les gens qui risquent de transmettre une maladie], près de l'île de Pomègues.

Mais les hommes, une fois à terre, n'entendent plus s'occuper de leur linge sale. Ils en font des ballots et le jettent à des lavandières [femmes qui lavent le linge dans les lavoirs] par-dessus la palissade du lazaret...

Le 20 juin, rue Belle-Table, dans un misérable quartier de la ville, une lavandière de 58 ans, Marie Dunplan, meurt après quelques jours d'agonie. Elle a un charbon [trace noire, signe de la maladie] sur les lèvres. Les médecins n'y prennent pas garde. Comment feraient-ils le rapprochement avec la Peste noire du Moyen-Age ? Le 28 juin, dans le même quartier, meurt à son tour un tailleur de 45 ans, Michel Cresp. Deux jours plus tard, c'est au tour de sa femme...         SUITE DU TEXTE